…et à tous ceux qui pensent savoir ce que c’est sans même y avoir mis les pieds, et à tous ceux qui pensent que n’importe qui peut « trader », et à tous ceux qui sont déjà dans ce monde-là, parce que ce n’est jamais mauvais d’avoir l’opinion d’un autre.
Si vous voulez rire, allez à la fin de l'article. Si vous voulez comprendre pourquoi vous riez, lisez l'article.
Tout d’abord, sachez bien une chose : les financiers ne sont pas tous des requins, des salops, les responsables de la crise, des gens dénués de sens moral et éthique, des geeks, des myopes, des gens obtus, des cœurs de pierre, des traders, des matheux, des ingénieurs ou des économistes. Il n’y a pas de profil type. Disons que la curiosité, la vivacité et une certaine facilité aux mondanités sont les traits les plus communs que j’ai remarqué. Le goût du luxe et des belles choses revient souvent, certains s’engagent dans le mécénat ou collectionnent les œuvres d’art (quand ils sont riches, bien sûr). D’autres aiment le challenge, d’autres le goût du risque… Définitivement, je ne vois pas de profil type.
Mais il faut savoir une autre chose : c’est un monde de relations. Et en plus, c’est à la base un monde d’hommes. Pour la simple raison que les hommes ont plus de facilité à sortir le soir, à aller dans des bars de strip tease et à boire. Les hommes ont toujours eu plus de libertés que les femmes, et n’ont pas à sortir tôt du travail pour aller chercher les enfants. Ceci dit, les femmes ont une qualité : elles excellent au jeu de l’hypocrisie et des relations humaines. Enfin, tout ceci n’est qu’une énumération de généralités, mais qui se retrouvent aisément fréquemment dans la réalité. La dernière fois que je suis allée à un salon investisseurs, j’ai eu l’impression d’être dans un salon de coiffure. Il y avait la même ambiance, avec cependant des conversations d’un autre genre. « Tu as vu le cour de Total ce matin ?! »
Cette image étant placée, il y a un point extrêmement positif dans le monde de la finance : c’est un petit marché, lorsqu’on y a fait ses preuves, on y a sa place. Et ça, c’est devenu rare aujourd’hui. Dans la finance il y a des gens doués en relations, des ingénieurs, des économistes, plein de profils différents qui viennent s’essayer au grand marché du profit sur l’argent. C’est un monde dans lequel on vous donne votre chance. Il faut être intelligent, ou travailleur, ou malin, ou tout ça à la fois.
Malheureusement, il est vrai que les gens dénués de sens moral y réussissent trop bien. Pour expliquer cela, je vais rappeler une chose importante. La finance, ça consiste en deux choses : la première, financer l’économie, la seconde, arbitrer le ratio risque rendement. Il se trouve que des entreprises qui offrent peu de rendement et un grand risque (type Facebook, par exemple), y perdurent de plus en plus longtemps. Ce phénomène est, à mon avis, essentiellement dû à la dérégulation. En gros, des gens non qualifiés, des personnes physiques, ont pu entrer sur les marchés des actions ou des dérivés, et sont devenues les proies faciles des traders expérimentés. Et peu à peu, les financiers ont oublié leur véritable métier, se contentant d’un profit non mérité. Les produits financiers sont devenus un gain facile, et les marchés étant de plus en plus liquides (cela veut dire qu’il y a beaucoup de titres qui s’échangent en peu de temps et qu’il est donc facile de vendre et d’acheter), ce gain a pris de la rapidité. L’éthique s’en est allée, chassée par l’attrait de l’argent.
Pourquoi les gens non formés ne peuvent-ils pas gagner à répétition sur les marchés boursiers ? A mon avis, ce fait est dû à l’opacité des marchés. Pour l’expliquer, je vais vous décrire l’évolution de la discipline.
Il faut savoir que la théorie économique est la base de la finance, mais que le monde de la finance est un microcosme dans l’économie réelle. Ces deux disciplines ont donc deux liens : le premier est la théorie, et cette théorie repose sur l’observation du réel. Or, l’économie (la discipline) se conceptualise de plus en plus, et s’éloigne du monde réel. La finance elle aussi se théorise car elle doit chaque jour expliquer des mouvements et des phénomènes de plus en plus complexes. (Ce qui me passionne dans ces disciplines, c’est que la finance et l’économie ne sont que la preuve de l’aliénation de l’Homme : on cherche à comprendre des phénomènes créés par l’Homme.) Cependant, les phénomènes boursiers ne sont pas les mêmes que ceux expliqués par l’économie. On a au final une perte de lien entre ces deux disciplines. La finance perd peu à peu ses liens avec le réel, et se transforme en équations abstraites. Il faut de plus en plus de mathématiques pour expliquer les marchés. Cette tendance se vérifie facilement : on embauche plus facilement des ingénieurs que des étudiants en commerce et en économie. Au final, on a deux tendances : ces matières deviennent de plus en plus abstraites et perdent leurs liens.
Il faut ajouter à ce fait ce que je disais plus tôt concernant les financiers qui oublient leur métier : ils regardent de moins en moins le risque rendement et se concentrent de plus en plus sur les comportements des agents des marchés, afin de faire du profit. Surtout en période de crise, lorsque ces comportements augmentent la volatilité (c’est-à-dire les écarts autour d’une moyenne long terme de valorisation des entreprises, la valeur du CAC 40 par exemple bouge de plus en plus violemment autour de sa moyenne long terme) et permettent à celui qui a bien parié de très forts gains (et de très fortes pertes pour la partie adverse).
Au final, on a un marché de plus en plus opaque où se crée un gouffre entre la théorie de plus en plus abstraite et la pratique de plus en plus basée sur les comportements humains. Malheureusement, ces comportements n’ont rien de rationnels en majorité (il faut savoir que les plus gros volumes sont fait par les traders et non par les investisseurs et gérants de portefeuille) puisque qu’ils sont aujourd’hui surtout basés sur des anticipations de réaction des agents du marché à telle actualités sur telle entreprise, prioritairement à l’étude approfondie des titres (actions par exemple) échangés, qui dépendent de l’économie*. La forme la plus poussée de ce phénomène, c’est ce que l’on appelle la spéculation.
En gros, la finance devient abstraite sur tous les plans, et étant dérégulée, elle fait perdre beaucoup d’argent aux petits joueurs (voir la définition de « noise trader » en finance comportementale).
* Je vais même aller plus loin en disant que de toutes façons, la valorisation d’une entreprise est subjective, et n’est donc pas rationnelle au sens absolu du terme. Aux premiers temps des marchés, les erreurs de valorisation des uns et les différences de valorisation des agents présents entrainaient la volonté de vendre et d’acheter et donc les échanges. Par exemple, si vous pensez que Total fera de bons profits sur un certain laps de temps, vous voudrez l’acheter, mais en face de vous le vendeur pensera le contraire. C’est une simple question de grande confiance en son propre jugement.
Ce qui me pose finalement problème, c’est cette dérégulation de la finance qui se veut à présent accessible à tous : tout le monde en parle, tout le monde s’y intéresse, mais la plupart ne l’a jamais étudiée et se contente de clichés. On suit le discours de Mario Draghi comme celui du Président de la République et on a tous un avis sur la question de l’inflation. Je suis gênée par ça parce que dans ce cas-là, l’économie, qui est une matière fondamentale au même titre que la littérature, la philosophie ou les mathématiques, devrait faire partie du cursus de n’importe quel élève, du collège au BAC. Nous ne sommes pas éduqués pour comprendre le nouveau monde dans lequel l’argent prend une place centrale. Et l’argent, c’est la finance. Mais ceci est un tout autre débat.
Je suis gênée par autre chose : la dématérialisation de la finance (son abstraction, comme je le disais plus haut), rend les financiers de plus en plus éloignés de la réalité des « petits gens » : pour un financier, gagner moins de 2000€, c’est être pauvre. Là encore, c’est une généralité.
Ceci dit, ne vous demandez plus pourquoi le PDG est l’ancien Directeur Financier, ou pourquoi un financier se recycle à n’importe quel instant de sa carrière : tout repose sur la finance, d’une part, et les qualités intrinsèques qu’exige le monde de la finance (le travail, la résistance au stress, la vivacité d’esprit, la stratégie, le relationnel) permettent de s’intégrer dans tous les milieux.
Il y a plein de secteurs qui ressemblent à celui de la finance. La culture, par exemple, consiste également en un arbitrage risque rendement. Et l’un de mes amis restaurateurs m’a dit une fois que « la restauration c’est comme la finance : t’enc*le les gens avec le sourire ».
Chloë Ange
- Cet article sera publié dans le Journal de l'Estrade de mars 2013 -
Ceux-ci ne sont pas des financiers. (Ce sont Sylar de Heroes et Dan Humphrey, alias Gossip Girl.) C'est la représentation de deux bébés de la finance dans Margin Call (que vous feriez bien de voir illico presto parce que c'est un super film).