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Chroniques d'une esthète engagée

Chroniques d'une esthète engagée

"Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. (...) Il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences." Rimbaud


Confession d’une enfant de la crise

Publié par Chloë Ange sur 21 Décembre 2012, 19:33pm

Catégories : #Peter Doherty, #Charlotte Gainsbourg, #Musset, #George Sand, #Confession d'un enfant du siècle

Confession d’un enfant du siècle :

Date de sortie : 29 août 2012

Avec : Peter Doherty, Charlotte Gainsbourg, August Diehl, Lily Cole, Volker Bruch, Guillaume Gallienne, Karole Rocher

Réalisatrice et scénariste : Sylvie Verheyde

Adaptation du roman d’Alfred de Musset (1810-1857), publié en 1836.

Avant même de commencer cet article, je vous avertis : je n’ai pas lu l’œuvre originale. Je connais Musset par Un spectacle dans un fauteuil et On ne badine pas avec l’amour.

Musset est un romantique notoire, qui raconte dans sa Confession d’un enfant du siècle sa propre expérience de jeune libertin et son histoire avec George Sand (Amandine Aurore Lucile Dupin de son vrai nom, 1804-1876) qui mettra fin à cette vie débauchée. Il se met en scène sous le nom d’Octave (Peter Doherty dans le film de Sylvie Verheyde), et renomme sa maîtresse Brigitte (Charlotte Gainsbourg).

Ce qu’il y a de réellement intéressant dans cette histoire, c’est le parallèle que l’on fait immédiatement avec la « génération Y » comme on l’appelle aujourd’hui (ou génération des « enfants indigos » pour ceux qui connaissent cette théorie). Et c’est à cela que j’aboutirai ici.

Le film dure deux heures. Deux heures durant lesquelles on assiste essentiellement à l’affrontement de Peter Doherty et Charlotte Gainsbourg. Je vous le dis d’avance, si vous n’aimez pas les films d’époque, renoncez. Si vous n’aimez pas la culture romantique, renoncez.

Mais non, ne renoncez pas, terminez plutôt cet article convaincu de l’intérêt du film, et empressez-vous de le voir.

Il y a des longueurs, en deux heures de film la chose serait quasi impossible à éviter avec un tel synopsis. Mais ces longueurs font artistiquement partie du film, et peut-être que sans elles l’ambiance en serait rompue. C’est un de ces films dans lesquels chaque scène apporte du sens ; bien plus que les dialogues ce sont ici les actes qui font l’histoire. La réalisatrice a choisi de nous donner le fil conducteur du film grâce à la voix off de Doherty.

Le casting fait quasiment tout. Le choix de Doherty n’est pas anodin. Il est reconnu comme le poète maudit de notre siècle, l’image même de Musset au 19°. Il incarne le rôle avec poésie. Je ne crois pas pouvoir trouver d’autre mot. Son expression quasi-figée qui ne laisse passer que la joie à certains instants du film, son côté enfantin et frêle, la folie qui l’habite parfois, son naturel dandisme et l’absolue compréhension (du moins il en donne l’impression) du rôle qu’il joue font de lui l’acteur idéal. Acteur ? C’est ici que réside la question. Quant à Gainsbourg, laissez-moi vous avouer qu’elle m’a un peu tapé sur les nerfs parfois. Elle aussi a une expression souvent figée, malheureusement cela gâche les quelques sourires qu’elle nous offre, et au contraire d’un masque de spleen artistique elle semble en souffrance quasi-constamment et parfois à deux doigts du suicide mental. Non, vraiment, elle en devient lassante. Et puis, elle porte très mal les robes d’époque. Cela dit, malgré les critiques, elle incarne bien le personnage, ce sont simplement les longueurs qui la rendent lassante.

Octave est un jeune homme du 19° siècle élevé dans un contexte politique fragile. De 1814 à 1830 c’est la Restauration qui voit la chute de Napoléon 1° et de sa Première République, en 1815 cependant viennent les Cent-Jours, période de court retour du règne de Napoléon 1° qui s’achève par la défaite à Waterloo, puis la Monarchie de Juillet (1830-1848) avec en parallèle la conquête de l’Algérie par la France (1830-1847), la Deuxième République (1848-1852) sous Louis Napoléon Bonaparte (Napoléon III) suivie du Second Empire (1852-1870).

En 1830, Musset, et donc Octave, a 20 ans. Il a passé quinze ans de sa vie sous un régime monarchiste, et est né en pleine période de renversement de pouvoir. En 1830, c’est à nouveau un renversement : le Duc d’Orléans, un de ses anciens camarades de classe, succède sur le trône à Charles X de la maison Bourbon, sous l’impulsion d’une révolution populaire contre le raidissement politique de ce dernier, et afin de préserver une monarchie constitutionnelle. Le système politique se stabilise à nouveau, pour le reste de temps à vivre de Musset.

Côté littérature il y a le Parnasse, le Cénacle, les Romantiques.

Octave écrit un peu (il y a là une perte de confiance de l’auteur qui vient d’encaisser son premier échec en présentant La Nuit Vénitienne). Il ne sait rien faire d’autre. Il part du domaine familial pour vivre à Paris, une vie oisive et gorgée des plaisirs de la capitale. Octave croit fermement en l’amour. Mais il découvre que sa maîtresse le trompe avec un de ses proches amis. Il bascule dés lors dans le libertinage et devient « le plus grand libertin de Paris ». Il ne sortira de sa vie de dandy débauché qu’à l’annonce du décès de son père (en 1932 est décédé Victor-Donatien de Musset-Pathay, le père d’Alfred de Musset, du choléra).

C’est alors qu’Octave retourne à la campagne, au domaine familial. Il y rencontre Brigitte, veuve qui mène avec sa tante une existence tranquille. Elle est plus âgée que lui. Elle lui fera oublier les plaisirs malsains de Paris. Elle le rendra amoureux. Je ne vous dis pas la suite, bien évidemment. Leur histoire est passionnelle, houleuse, scandaleuse surtout. Ils la vivront quand même.

L’essence de la vie de jeune homme d’Octave réside dans le « mal du siècle ». Ce mal du siècle qui le mène à la débauche, au libertinage, aux passions éphémères. Ce mal-là vient, dit-il, d’avoir été élevé pour la guerre, et d’arriver sur un champ de bataille vide. De n’avoir plus de raison de se battre, plus de raison de vivre, aucun savoir-faire. La seule chose qu’il restait à faire aux jeunes riches et aristocrates de France était de s’amuser. Ils avaient l’argent, les privilèges de la monarchie retrouvée, et beaucoup trop de temps. S’engage une déprime. C’est ça, le mal du siècle, la déprime de ne « servir à rien », de n’être bon en rien, d’être tous semblables, d’avoir trop de temps pour penser à soi, et de ne pas y arriver. Parce que l’introspection a toujours été un sujet effrayant, non ? Alors ils fuient par l’alcool, le sexe et les faux-semblants.

L’une des plus belles scènes du film, à mon avis, présente l’un des amis d’Octave qui, trop ému à l’écoute d’un concert impromptu d’ une amie à la voix sublime, se met à détruire frénétiquement meubles et porcelaines, faute de savoir s’exprimer autrement, faute de savoir ressentir correctement.

L’introspection est ridicule, la dépression l’est aussi puisqu’on n’a aucune raison de l’être : le pays va bien, on est riches à ne plus savoir que faire, on a suffisamment de temps pour vivre trois fois la vie des parents !

Je pense que ce mal du siècle, né de la répétition de choses futiles, de l’oubli, du « deuil de soi » en quelque sorte, se retrouve dans la génération Y. Je dirais « nous » puisque j’appartiens à cette génération.

Nous aussi, la jeunesse dorée de la génération Y, nous aimons dépenser en alcool et loisirs futiles l’argent gagné par nos parents. Nous aussi, nous préférons la fête à la lecture. Nous aussi nous rions de ceux qui « se posent trop de questions », nous aussi nous prônons le « carpe diem ». Quant à ceux qui sont hors de ces classes sociales, eux aussi rêvent d’en faire partie. La hiérarchie est la même, les dérives sont les mêmes. Connait-on de grands philosophes, poètes, mathématiciens, artistes, l’un de ces grands Hommes dans notre siècle ? Non. S’il y en a, ce sont ceux qui ont vendus le plus. Le plus d’albums, le plus de livres, ceux qui ont vécu des succès populaires et qui offrent à la masse la facilité de compréhension qu’elle attend. Ou ceux qui ont réussi alors qu’on ne s’y attendait pas. A ce sujet, Victor Hugo (romantique également, 1802-1885) écrit, dans Les Misérables :

« Soit dit en passant, c’est une chose bien hideuse que le succès. Sa fausse ressemblance avec le mérite trompe les hommes. Pour la foule, la réussite a presque le même profil que la suprématie. »

Longtemps, étudier était un privilège, et un plaisir. Aujourd’hui, cela passe pour une obligation. Et puis, il y a la « taille critique » des études. Pas assez, pas de boulot ; trop, pas de boulot. Tout se réfère au travail. Le travail se réfère à l’argent.

Et voilà le second problème. Elevés dans une société de consommation, ce que nos parents ont découvert en grandissant nous l’avions déjà : le réflexe d’acheter, de dépenser, de tout relativiser par rapport à l’argent, de se laisser guider par ça essentiellement. J’ai même entendu parfois « A quoi sert l’Art ? ».

Aujourd’hui, il y a le « commercial », l’art qu’on achète pour un an, et puis qu’on jette ; et le reste. Nous avons tout renommé à notre sauce, et si vous dites à votre papa que le titre que vous écoutez (allez, disons Chris Brown) c’est du RNB, il rira bien de vous. Pour lui, le Rythm n’ Blues c’est Ray Charles et James Brown.

Nous non plus, nous ne nous distinguons plus. Nous sommes aussi en quête d’identité. Nos références sont des chanteurs souvent obscènes ou ridicules, et nous trouvons notre philosophie au cinéma ou à la télévision, ou sur des blogs. De la « philosophie de comptoir ». La vulgarité est à nouveau une part importante des attitudes à la mode. Le dandy se riait des belles manières en les exagérant, en les prenant à parti ; nous nous contentons de les ignorer souvent. Mai 68 et la période hippie auront eu cela d’embêtant : à vouloir abolir tout ce qui s’apparentait à l’idée « d’avoir un balai dans le cul », à l’idée de règle, nous en sommes aujourd’hui à une génération qui en a oublié plus de la moitié. La plupart d’entre nous ne connaissent pas les règles élémentaires de courtoisie pour rédiger une lettre, rendre visite à quelqu’un, se mettre à table, etc. Notre sexualité même en est bouleversée. Les tabous ont fait leur grand retour, et pour les contourner on fronde avec de gros mots, on « get laid » beaucoup plus tôt qu’avant, on dit qu’on se fiche du premier, des sentiments, on porte des vêtements qui pourraient être qualifiés d’outrages publics à la pudeur. On vulgarise le sexe à la télévision, dans les clips, peu de films sortent sans une scène érotique.

Nous aussi, nous avons notre « mal du siècle ».

Voilà pourquoi je pense qu’il faut s’empresser de regarder Confession d’un enfant du siècle, si ce n’est pour sa qualité visuelle, son très bon casting et l’excellence de sa réalisation.

Confession d’une enfant de la crise
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