Le moment que je redoute le plus quand je rencontre une personne c’est « et toi, tu fais quoi dans la vie ? » Parce qu’inexorablement, cette question amène « j’ai un master en finance de marché, j’attends mon départ en thèse d’économie dans un semestre et je suis au chômage ». « En finance ? Et tu n’exerces pas ? »
Non, je n’exerce pas. D’ailleurs, je n’ai « exercé » que dix mois en tout, entre ma première et ma seconde année de Master. J’ai passé dix mois « sur le marché », comme on dit en finance, à assister un gestionnaire de portefeuille. Outre ces dix mois, presque tous mes professeurs de Master (sauf trois) étaient des intervenants, qui posaient quelques semaines de congé pour venir nous enseigner, entre deux ordres à passer, un produit à structurer, un risque à analyser, une entreprise à intégrer ou non, etc. Je dirais donc que j’ai pu observer le fonctionnement de ce microcosme pendant deux ans.
Quand je suis arrivée en première année, je voulais devenir trader. Et en toute honnêteté, j’avais tout pour. Un an de maths sup’, puis une prépa ENS Cachan couplée à une licence d’économie et les concours des Grandes Ecoles de Commerce et d’Economie. Au sortir de tout ça, c’était soit la très prestigieuse Toulouse School of Economics (qui était à ce moment la seconde de France et la quatrième européenne – aujourd’hui son président, Jean Tirole, est le nouveau Nobel d’économie), soit Toulouse Business School, encore ESC Toulouse en 2011, dans le TOP 10 des Ecoles de Commerce Française, et l'une des meilleurs françaises au classement du Financial Times. A l’ESC Toulouse ils avaient une filière de finance avancée, le genre de programme que tu suis quand tu veux laisser ta vie sociale de côté et entrer dans le monde aussi fou que mystérieux de la Bourse. A ce moment-là, j’avais abandonné tout espoir de devenir économiste ou chercheur, je pensais que c’était un métier trop difficile à atteindre et qui ne payait pas assez : autrement dit, pas rentable. Et puis, la Bourse, c’est intrigant, ça claque. Ce fut donc Toulouse Business School et son coût de 21 500€, qui pèse aujourd’hui sur moi sous forme de prêt étudiant.
Alors que s’est-il passé entre 2011 et 2014 ?
Durant ces deux ans et demi j’ai appris une chose essentielle : calculer un rendement. Et j’ai réalisé une chose : le rendement que m’offraient les métiers de la finance n’était pas suffisant pour moi.
Nous avons tous un seuil de rendement, ce qu’on appelle en économie le rendement minimal exigé pour investir. Pour moi, le rendement des métiers de la finance était insuffisant. Dans les lignes qui suivent, je vous explique le calcul que j’ai fini par faire, au bout de deux ans – j’étais donc à un semestre d’en avoir fini avec les cours de finance de marché.
Rendement monétaire
Je ne suis pas arrivée là par hasard. En finance, on est pragmatique.
Quel est le salaire d’un acteur de la Bourse, et plus précisément d’un trader ? L’Internet vous donnera du 4000€ en moyenne, au mois. Mais l’Internet ne vous dit pas au bout de combien de temps vous avez droit à cette moyenne de quatre boules sur votre compte en banque. Et pourtant, c’est important. Car vous allez commencer le job en tant que « junior » - comme partout dans les grosses boîtes bien sûr. Alors trois ans durant – à peu près -, vous allez faire le même travail que tous les autres gars du « desk », plus tous les codes VBA qu’ils ne savent plus faire (programmer sous Excel des algorithmes utiles à l’analyse des produits sur lesquels vous et votre équipe, aussi appelé le desk, travaillez) parce qu’ils ont quitté l’école il y a trop longtemps, et endurer plus de stress parce que outre le stress du métier, vous n’êtes que junior et vous voulez votre place dans la machine. Et pendant ces trois ans, vous allez commencer le remboursement de vos 21 500€, soient près de trois millions CFP pour les Calédoniens. En supposant que votre prêt s’est fait à 0% contrairement à moi (majorité des prêts étudiants) et que vous gagnez une moyenne de 2500€ nets pendant trois ans, que votre budget nécessaire ne vous laisse que 800€ de reste chaque mois, vous aurez remboursé votre prêt au bout de 2,23 ans. Financièrement, ce n’est pas un mauvais calcul de se lancer dans la finance après une école de commerce.
Mais poursuivons. Pendant ces trois ans, vous allez supporter un stress qui est bien au-delà de celui d’un commercial pour une marque de shampoing et, comme l’un de mes amis me l’a si bien fait remarquer, vous allez vous rendre compte que dans la Bourse, les gens ne sont pas heureux. Ils courent après l’argent, mais en gagner ne les rend pas heureux. Cela soulage simplement leur stress l’espace d’une demi-journée.
Selon les métiers, votre temps libre variera, le mieux étant « sales » puisque vous suivez les heures d’ouverture et de fermeture de la Bourse – le pire étant analyste financier, ou structureurs : pas d’horaires, des dossiers à boucler et des produits à créer.
Côté mobilité, oubliez très vite les îles perdues et adoptez la city life. Sans compter qu’aujourd’hui, les places sont chères en finance : vous n’irez pas là où vous rêviez d’aller. Et, comparez à vos potes commerciaux, votre vie vous coûtera bien plus cher parce que la finance se concentre dans des villes souvent hors de prix.
En bref, c’est un métier de capitale : il faut aimer le stress, la pression et être carriériste. Rien de plus banal. Durant trois ans, vous stresserez plus que vos potes en marketing, pour 1000€ de plus, voire moins puisque leurs salaires sont plus variables, sans compter le niveau de vie très élevé des villes où se concentrent les activités financières (et j'ai déjà entendu des hommes du marché dire qu'à 1500€, on est pauvre... c'est à peu près le salaire moyen français).
Alors quoi d’autre ?
Quand on se dirige vers la Bourse c’est qu’on aime les challenges et l’argent. Quant à l’argent, nous avons vu que vous n’en gagnerez pas plus qu’ailleurs avant quelques années. Qu’en est-il des challenges ?
Rendement intellectuel
La Bourse est un monde obscur et fascinant. Il me fascine toujours. Vous croyez n’y trouver que des gens brillants ? Laissez tomber ! En finance, la majorité des équipes ne comprennent pas ce qu’elles font, surtout les sales, ces vendeurs de rendement. A part les « bons », la majorité est là pour son fric, sa dose d’adrénaline et sa bière avec le reste de l’équipe de couilles en fin de journée. That’s all, folks !
Quant aux challenges : le temps que vous appreniez votre métier, passiez le FCA et autres accréditations nécessaires à passer des « ordres » (achat et vente de titres), vous ne vous ennuierez pas trop. Mais si, comme moi, vous aimez vous triturer les méninges avec des questions du genre « les acteurs du marché sont-ils rationnels ? » ou « vaut-il mieux investir au hasard sur un échantillon large de sociétés ou les analyser une à une et espérer trouver la perle ? » ou donner votre avis sur des stratégies quelconques, oubliez également. Vous n’aurez ni le temps de réfléchir profondément à ce que vous faites, ni le droit de l’ouvrir. Le métier reste aussi répétitif que n’importe quel autre métier de cadre très encadré.
Car en finance, la hiérarchie est devenue très pesante. Ce n’est plus le monde du self-made à la Loup de Wall Street, non. Aujourd’hui, les risques sont tellement importants aux yeux des dirigeants, que la hiérarchie est une étiquette. Aussi, le temps est très long avant d’avoir un poste réellement passionnant.
Sans compter que les processus de recrutement sont pénibles. Imaginez : vous avez fait deux prépas, une Licence, passé des concours et obtenu un Master et vous devez encore passer des tests en trois ou quatre volets (je ne parle pas de tests de personnalité mais bien de démontrer tel ou tel théorême) le plus souvent pour accéder à un poste minable d’exécutif ? Chacun sa perception du métier idéal, mais on s’éloigne de la mienne. Les profils recrutés par chaque banque sont très, très définis, et le nom de votre école est très important. A la Société Générale c’est HEC, EDHEC ou la porte. Sans oublier les codes sociaux et vestimentaires qu’il vous faudra adopter comme les vôtres. Autrement dit : vous avez intérêt à vous glisser dans tous les moules possibles pour gagner une place.
Quand ces étapes seront passées, que votre poste est sécurisé et que vous n’êtes plus « junior », vous êtes la plupart du temps tellement rentré dans ce moule que les quelques idées innovantes que vous aviez à vos débuts ont disparu. Autrement dit : quand enfin on te prête une oreille, t’es devenu trop con pour parler.
La valeur de vos principes
Pour terminer, je dirai une chose : on ne vend pas un actif comme on vend un mascara. C’est pourtant ce dont sont persuadés les acteurs de la Bourse. Je m’explique.
Une fois j’ai élevé la voix contre les publicités mensongères des banques d’investissement. Autrement dit, ce genre de slogan : « Gagnez 150% sur la hausse du CAC40 ! » 150%, ça donne envie, non ? Pa rapport à votre livret A qui ne vous donne que 2% ! Certes, sauf que vous allez gagner 150% sur la variation positive du CAC40, autrement dit s’il prend 1% en un an, vous allez prendre 1,5% de rendement…
Je trouve ça brillant, et fascinant, et absolument génial pour ne pas vous mentir. Mais j’en suis également outrée. On m’a répondu que sur les publicités de mascara toutes les mannequins portent des faux-cils – ce qu’à l’époque je ne savais pas d’ailleurs ! Et donc qu’il s’agit du même principe destiné à attirer le client appliqué sur un produit financier.
Sauf qu’un mascara vous coûtera 30€ en moyenne. Le produit, vous y investirez au moins 1000€ et dans la plupart du temps on vous assure que vous récupérerez au moins ces 1000€ dans quelques mois ou années - ce qui est vrai – les agios en moins mais aussi avec un coût d'opportunité : les 2% que vous auriez pu gagner en les plaçant sur un livret A. Alors bien sûr, les produits sont souvent plus intéressants que le rendement du livret A contrairement au cas que je vous présente, mais mensongers et avec un risque supérieur.