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Chroniques d'une esthète engagée

Chroniques d'une esthète engagée

"Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. (...) Il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences." Rimbaud


Le lecteur, mon angoisse, mon angoisse, le lecteur. Les présentations sont faites.

Publié par Chloë Ange sur 30 Août 2014, 15:18pm

Catégories : #Société, #perso

Clown

Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…

Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans, Pages choisies, Poésie / Gallimard, 1966, p.249

Cela fait déjà quelques temps que je veux vous parler de l’angoisse. Il me suffit d’écrire son nom pour qu’elle me saisisse au ventre. C’est toujours par le ventre, qu’elle commence. Ma petite anxiété à moi. On partage un seul corps depuis quelques temps déjà, et comme vous le lisez, je l’ai personnifiée. Sans aucune raison, autre que c’est l’impression qu’elle me laisse : celle d’être une personne en plus dans mon cerveau.

Je veux vous en parler, parce qu’elle fait partie de moi, et que je ne suis pas la seule dans ce cas. Mais je pense que parmi vous, vous n’avez pas tous appris à connaitre votre angoisse, votre dépression. Ou que vos amis ne comprennent pas toujours ce que vous leur dite. Alors je vais vous raconter mon histoire de haine et d’amour avec ma petite angoisse à moi, et vous en tirerez vos conclusions.

Mon angoisse n’est pas toujours là. Ou du moins, parfois s’endort-elle plusieurs mois. Et elle peut revenir, aussi violente qu’une gifle, sans jamais prévenir, au moment où l’on s’y attend le moins.

En écrivant ces lignes, mes abdos travaillent tous seuls. J’ai le ventre serré, les boyaux qui crient au secours, et l’allure d’un top model dévasté par la drogue.

Je suis anxieuse chronique. 

Chronique signifie qu’elle part et puis revient. Elle s’endort et s’éveille à sa guise, me faisant découvrir mes phobies et mes sources de bonheur, sans jamais prévenir.

Au milieu de l’eau, sur une planche, la rame entre les mains et suant tout mon soul, elle s’en est allée. Et à la moindre possibilité d’échec, elle revient. Lorsque j’ai obtenu ma bourse doctorale, je n’ai pas voulu faire la fête. J’avais tant et tant travaillé pour l’obtenir qu’une fois fait, j’ai eu peur de tout foirer, peur de ne jamais partir pour ma thèse, de ne jamais avoir mon doctorat, peur de la difficulté de la tâche, peur de tout.

Angoisse

     Se peut-il qu'Elle me fasse pardonner les ambitions continuellement écrasées, —qu'une fin aisée répare les âges d'indigence,— qu'un jour de succès nous endorme sur la honte de notre inhabileté fatale,
     (Ô palmes ! diamant ! — Amour, force ! —plus haut que toutes joies et gloires! — de toutes façons, partout, — Démon, dieu, —Jeunesse de cet être-ci ; moi !)
     Que des accidents de féerie scientifique et des mouvements de fraternité sociale soient chéris comme restitution progressive de la franchise première ?...
     Mais la Vampire qui nous rend gentils commande que nous nous amusions avec ce qu'elle nous laisse, ou qu'autrement nous soyons plus drôles.
     Rouler aux blessures, par l'air lassant et la mer : aux supplices, par le silence des eaux et de l'air meurtriers ; aux tortures qui rient, dans leur silence atrocement houleux.

A. Rimbaud

Genèse de mon angoisse : revenons en arrière. Nous sommes à Bordeaux, début 2013, je suis en stage dans une maison de gestion de portefeuilles. Et je hais mon job. Je hais Bordeaux. Je viens le matin avec la boule au ventre. J’ai été arrêtée pour des maladies successives et étrangement violentes, alors que je ne suis pas particulièrement fragile. J’ai été arrêtée pour un coup de fatigue après avoir appris que je ne pouvais pas arrêter mon stage. Je crève de peur pour mon avenir. Je ne sais pas quoi faire du tout après.

Un jour, alors que j'etais au bureau, j'ai ressenti une vague de chaud froid qui s’est emparée de moi. Je n’ai pas compris pourquoi je me mettais à trembler, mais j’ai eu la sensation que j’allais mourir. Littéralement, je mourrais à l’intérieur. J’avais froid, je me sentais m’effondrer et pourtant je tenais encore debout, et j’avais le sentiment de m’assombrir de l’intérieur. Comme si mes images mentales, mon cerveau, mes pensées, devenaient noires. Inquiète, j’ai filé chez le médecin, je tenais à peine debout. Un ami a dû m’aider à marcher. Le docteur a testé mes réflexes, et m’a expliqué que j’étais stressée. Une semaine d’arrêt. Vous n’imaginez pas cette impression de mourir à chaque seconde pendant plusieurs jours, j’étais persuadée que j’allais finir à l’hôpital, en réanimation. Je me suis mise à fumer de l’herbe et à boire du rhum tous les vendredis soirs. J’avais des crises de larmes devant n’importe quel film, ou en écoutant une chanson. Je n’avais envie de rien. Ni de manger, ni de rire, ni de boire, ni de chocolat, ni de voir mes amis, rien. Je dormais longtemps, sans prendre de repos.

J’ai fini chez un psychiatre, en larmes à la moindre chose que j’avouais.

Mais ce ne sont ni les verres de rhum, les joints, les paquets de cigarettes ou les achats compulsifs qui m’ont sortie de là. J’ai refusé les médicaments. J’ai repris mes chroniques économiques sur le blog, plus vivement qu’avant. Et je m’entrainais deux heures par jour, entre course à pieds et musculation. Les endorphines, l’adrénaline et les ocytocines m’ont sauvée la mise. Adieu la cigarette, bonjour la solitude bienfaitrice et les nuits un peu plus calmes. J’ai choisi d’arrêter mon stage plus tôt, je suis revenue en Nouvelle-Calédonie. Tout m’est revenu en deux mois de vacances au pays. Mes souvenirs à la plage, le nombre de fois que j’avais regardé Sauvez Willy étant gosse, tout. Je me suis rappelée de la gamine qui avait peur des raies, qui adorait la plongée et qui construisait des cabanes dans les arbres de son jardin. 

L’angoisse n’est jamais partie. Mais j’ai appris à la connaitre. Lorsque je commence à douter de tout, à ne plus vouloir voir personne, à avoir constamment peur, je sais que c’est elle qui est là. 

Nouvelle Calédonie, baie de Sainte Marie

Nouvelle Calédonie, baie de Sainte Marie

Je ne crois pas que mes amis comprennent réellement ce que c’est, car aucun n’a les mots qu’il faut. Je me parle beaucoup à moi-même, je me dis ce que j’ai besoin d’entendre, je me réconforte et je me laisse pleurer. Je m’écoute.

L’angoisse n’est pas une fatalité. C’est une partie de soi qu’il faut apprendre à connaitre. La mienne se conjugue avec jalousie (peur d'être abandonnée) et perfectionnisme (phobie de l’échec).

Ca ne m’empêche pas de me lancer des défis sportifs ou intellectuels.

L’anxiété est une occasion de se redécouvrir. Elle me guide, aussi. Lorsque mon ventre se tord en pensant à un homme, je sais qu’il me plait, vraiment. Lorsque j’ai la nausée en pensant à mon jour de taf, je comprends que je vais encore devoir me réorienter. Et lorsque tout s’envole, je me réapproprie la sérénité avec jouissance, je redécouvre avec tendresse les personnes que j’aime, la douceur qui m’habite et que j’avais oubliée le temps d’une crise, par exemple. Elle me montre les personnes qui me font souffrir et que je dois sortir de ma vie, les mauvaises habitudes à laisser tomber.

Je vois l’angoisse comme un filet du diable. « Détendez-vous, ou elle vous tuera plus vite », dit Hermione dans le premier film de la saga Harry Potter (c). Un peu plus tard, elle ajoute « filet du diable, filet du diable, à l'ombre est vivace mais au soleil grimace ! »

Laissez l'angoisse se lover dans le creux de vos entrailles, détendez-vous, et faites le plein de soleil et de rayons de sourire. Elle se taira d’elle-même.

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